L’une des raisons qui peut pousser les gens à aller voir un film, hormis la bande-annonce, les critiques favorables ou le casting, est sans aucun doute l’affiche du film en question. Dès les premières années du Cinéma, celle-ci ressemble à s’y méprendre aux affiches de théâtre, genre très populaire à cette époque. L’évolution de l’affiche de cinéma est assez révélatrice de l’inclinaison capitaliste du cinéma dans son ensemble : oeuvre d’art à part entière, l’affiche devient après la Seconde Guerre mondiale un vulguaire argument de vente, de plus en plus standardisée.
Les codes de l’affiche de cinéma passent par la couleur (prédominance du rouge et noir pour les films d’horreur, du blanc et du rose pour les comédies…), la typographie (titre du film, noms des acteurs…), la nature même de l’affiche (dessin, photographie unique, photomontage…). L’affichiste peut mettre en valeur une scène du film en la reproduisant sur l’affiche, ou bien montrer uniquement les acteurs principaux, ou encore créer un montage hybride laissant le spectateur s’imaginer le contenu du film. Quoi qu’il en soit, une affiche réussie est généralement une plus-value pour le nombre d’entrées d’un film (et aussi un régal pour les collectionneurs d’affiches). Evidemment l’affichiste doit tenir compte de nombreuses contraintes liées à la collaboration souvent difficile avec le producteur, le chef de marketing, le réalisateur mais aussi la censure de plus en plus répressive et ambigüe (comme si montrer une cigarette sur une affiche incitait les gens à s’intoxiquer, alors que l’Etat vient tout juste d’accoler une série de photos hardcores sur les paquets…).
De 1895 à 1920, imprégnation des mouvements artistiques dans les affiches de cinéma : dessin réaliste traditionnel, burlesque SF, art nouveau, influence de l’expressionnisme allemand… et bien plus encore !
Dans le processus de fabrication d’un film, l’affichiste est souvent oublié du grand public alors qu’il offre un regard important, d’un point de vue artistique mais aussi promotionnel. Voici une série d’affichistes de toutes les contrées qui ont marqués l’histoire de l’affiche de cinéma. Cette liste est bien evidemment non-exhaustive tellement les affiches sont nombreuses, n’hésitez pas à en ajouter et à commenter l’article…
A noter que rapidement, les affiches se déclinent en plusieurs versions pour un même film, histoire de varier les plaisirs et de ne pas limiter l’imagination de l’illustrateur. Le seul problème dans ce cas, c’est de ne pas en montrer trop, pour que la découverte du film soit totale… Dans les années 1960-début 1990, chaque pays dispose de sa propre affiche crée par un illustrateur local. Le studio propriétaire du film collabore avec un artiste pour valider l’affiche. Cela marche très fort avec l’arrivée du support VHS, dont les jaquettes deviennent vite des vitrines pour les artistes indépendants.
Boris Bilinski (1900-1948) : Artiste russe débarqué en France début 1920, Boris Bilinski est un pionniers de l’affiche moderne, dans laquelle le texte est incorporé dans l’image pour un rendu esthétique et pour ne pas reproduire les codes de la publicité. L’affiche doit attirer l’attention du passant et non raconter le film, selon lui. Son nom reste associé au film Métropolis de Fritz Lang, pour qui il signa une affiche futuriste magistrale.
Boris Grinsson (1907-2000) : D’origine russe, il ne peut devenir acteur international à cause de son accent, et décide de travailler dans les affiches de cinéma dès 1936. Son affiche d’Autant en emporte le Vent (1939) lui ouvre les portes de grands studios (MGM, Universal…). Il a continué à créer des affiches jusqu’à son décès, même si les années 1970-90 sont plus marquées par des affiches de séries B que de grands projets.
John Alvin (1948-2008) : Collaborant avec de grands studios hollywoodiens, John Alvin doit beaucoup dans le succès de nombreux films. Ses affiches comptent parmis les plus belles du XXème siècle, et sont reconnaissables immédiatement par le trait particulier et le rappel de certain symboles, comme le rond (Terre, soleil…).
Saul Bass (1920-1996) : Réputé pour la création de génériques de films virtuoses, Saul Bass est aussi un affichiste de génie. Il a révolutionné l’affiche de cinéma dans les années 50, en créant une nouvelle typographie inspirée de l’art moderne et du constructivisme, et en délaissant le côté figuratif alors de rigueur. Son influence est encore visible sur de nombreuses affiches actuelles (de Clockers à Burn After Reading).
Quand l’affiche de cinéma devient oeuvre-d’art…
Jean Mascii (1926-2003) : Autodidacte dès son plus jeune âge, l’Italien Jean Mascii est remarquable dans son travail de composition très soigné. Ses portraits semblent plus réels qu’une vraie photographie, il dessine entres autres Alain Delon, Glenn Ford… et participe à l’élaboration de l’archétype iconographique de Clint Eastwood et de Jean-Paul Belmondo. Stakhanoviste de l’affiche, il en a crée plus de 2000 et touche à tous les genres.
Bob Peak (1927-1992) pour les 2 premières, Richard Amsel (1947-1985)
Michel Landi (né en 1932) : Passioné au point de créer une affiche sans l’accord du réalisateur d’un film, Michel Landi a donné naissance à de nombreuses affiches cultes. Il lui même arrivé de créer des affiches sans avoir vu le film et sans avoir lu le script !
Drew Struzan (né en 1947) : Illustre affichiste encore en activité pour le plaisir de nos yeux, il a le mérite de travailler avec Steven Spielberg, George Lucas, Robert Zemeckis… A contre-courant de la mode photoshopesque actuelle, il continue à nous offrir des affiches dessinées sublimes.
Frank Frazetta (1928-2010) : Dessinateur le plus emblématique de la science-fiction et de la fantasy (Conan le Barbare n’est qu’un exemple parmis d’autres), Frank Frazetta possède un style graphique unique et percutant au premier regard. Il a fait plusieurs affiches de films, pour la plupart mémorables.
Laurent Melki : Cet illustrateur français, tout ceux qui ont un jour eu entre les mains des VHS de films d’horreur datant des années 1980-90 s’en souviennent. Travaillant parfois sans autorisation il a dessiné à sa manière et pour le marché français des références dans le domaine de l’épouvante-horreur et la série B ritale.
A partir des années 1990, l’affiche de cinéma telle qu’on la concevait auparavant disparait littéralement, hormis quelques rares exceptions. Avec les nouveaux procédés d’impression (la lithographie est remplacée par l’offset), la norme devient l’affiche unique avec une belle photographie toute propre. Le travail de l’affichiste n’a plus aucune raison d’être, malheureusement. Ainsi depuis plusieurs années on a le droit à des affiches royalement laides, ornant les bus et les pilônes publicitaires des centres-villes :
Remarquez que pour ces exemples, la qualité du film est proportionnelle à celle de l’affiche !
Pire, les responsables marketing n’hésitent pas à reprendre des affiches préexistentes, nouvelle preuve du manque total de créativité :
La liste pourrait encore être très longue tant le sujet est vaste. Espérons seulement un retour de véritables artisans de l’affiche de cinéma, et pas de bidouilleurs de logiciel photoshop…
Dr. Gonzo