Au début des années 1970, le grand Christopher Lee commence à se lasser de jouer dans des productions Hammer qui sentent légèrement le réchauffé, surtout dans les nombreuses déclinaisons de Dracula, rôle qui l’a rendu mondialement célèbre et fait encore de lui une icône du cinéma fantastique. C’est alors qu’on lui propose un film atypique, prenant pour thème la survivance de rites païens sur une île écossaise nommée Summerisle.
Film atypique du cinéma de genre de l’époque pour plusieurs raisons. La plus évidente, celle qui se remarque au premier coup d’œil, c’est le refus de tourner les scènes la nuit, pourtant une des caractéristiques du cinéma d’épouvante classique – à plus forte raison britannique. Cela pouvait certes diminuer l’ambiance pesante et l’impression de danger imminent, mais au contraire il en résulte un respect des codes du genre à mesure que le récit avance. Dès son arrivée sur l’île pour enquêter sur la disparition d »un jeune fille, le sergent Neil Howie se rend compte du caractère très communautariste des habitants. A chaque nouvel habitant interrogé, les secrets de Summerisle refont surface et il en apprend un peu plus sur les étranges coutumes du coin. Comme il est assez courant dans la production des années 1970, le cinéma d’horreur se mêle ici à des ingrédients du polar, de la petite enquête de police qui débute au départ comme un exercice de routine. Comme le disait dans un entretien le réalisateur Robin Hardy, l’objectif était de faire « un film d’anti-horreur », et l’essentiel du film étant tourné en plein jour renforce ce parti-pris. On peut remarquer que quelques années plus tard du côté de l’Espagne, Narciso Ibáñez Serrador tourne lui aussi un pur film d’horreur sous un soleil méditerranéen et également sur une île ( ¿Quién puede matar a un niño?/Les Révoltés de l’An 2000, 1976). Sans doute faut-il y voir la volonté de renouveler un cycle du cinéma fantastique qui cherche un nouveau souffle.

Le scénariste Anthony Shaffer, qui a signé les scénarios de titres prestigieux comme Le Limier (Joseph L. Mankiewicz, 1972), Frenzy (Alfred Hitchcock, 1972) ou encore Le Crime de l’Orient-Express (Sidney Lumet, 1974), nous plonge dans une petite communauté obscurantiste menée par un gourou adepte du néo-paganisme (Lord Summerisle). Ce qui fait de The Wicker Man un film culte réside justement dans cette confrontation entre le christianisme et le paganisme, représentés respectivement par Howie et Lord Summerisle. Difficile de se placer d’un côté ou de l’autre puisque les deux religions sont présentées comme contraignantes et restrictives, comme vecteur d’enfermement mental (et physique, par le biais de l’île) de ses adeptes. Le sergent de police catholique, puritain au possible, rejette violemment les moeurs sexuelles des habitants de Summerisle, est choqué par l’éducation des enfants (dont un cours sur la représentation phallique que n’aurait pas renié ce bon vieux Freud), mais plus encore il ne peut se résoudre à accepter que des gens pratiquent encore le sacrifice humain. A l’inverse, Lord Summerisle – alias Christopher Lee qui prend plaisir dans son rôle – justifie ces pratiques par le bien-être de la communauté, la croyance d’une seconde vie après la mort (le mot « mort » étant interdit dans l’île car cela ne signifie rien pour les païens), et la promesse de bonnes récoltes pour les saisons à venir. En fait, tout deux sont extrémistes et cloisonnés dans leurs conceptions, ce qui abouti à un final pessimiste où le paganisme a le dernier mot !

The Wicker Man, de fait, est une sorte de cours de religion comparée très judicieux en plus d’être un très bon film d’épouvante. Les producteurs n’ayant à la base pas confiance dans le potentiel commercial du film, le tournage s’est déroulé en plein hiver en Ecosse, ce qui répond à une question que l’on peut se poser : pourquoi les acteurs grelottent parfois ? Parmi les autres interrogations majeurs concernant le film, notons qu’il existe deux versions du film, ou plutôt trois : la version d’origine, la version longue mais pas complète (car un mec chargé de transporter les négatifs du film a simplement laissé les négatifs au bord d’une route, comme ça, gratuitement) et enfin la version d’origine mais sans la magnifique danse dénudée de Britt Ekland (parce que son mari de l’époque, le chanteur Rod Stewart, ne voulait pas qu’on voit cette scène et la garder pour lui). Oui, je sais, c’est un peu compliqué tout ça. Le film vaut également pour sa bande originale excellente, quasiment manifeste musical de la période post-hippie, agrémenté de morceaux réellement joués et chantés lors des rites païens, preuve supplémentaire du travail de recherche d’Anthony Shaffer et de son équipe. Ensuite, rien ne vous empêche de regarder dans la foulée l’horrible remake de 2006 avec Nicolas Cage, mais à vos risques et périls.
Dr. Gonzo
Y a des films comme ceux-là où il ne faut pas tortiller pendant cent sept ans : grand film de culte ! Maintes fois cité (“Dagon” ou plus récemment “kill list”), génialement iconoclaste (on y brûle une idole !), le film épingle autant la prude église que les dégénérés consanguins du flower power. Ils étaient quelques-uns comme Hardy, Michael Reeves voire Norman J. Warren, a vouloir dépoussiérer un peu le gothique cinéma d’épouvante british. Leurs noms sont un peu oubliés hélas mais leur travail est loin d’être indigne d’intérêt !
Salut,
Pas mon préféré de la firme Hammer, mais ce film reste un projet un peu fou et culte bien ancré dans les années 70.
Comme tu l’écris, il faut oublier le remake avec Nicolas Cage.
Salut Roggy, pour le coup il n’est pas produit par la Hammer, malgré son casting et son genre cinématographique ! Mais en tout cas, c’est vrai qu’il transpire les années 70, et l’on ne verrai pas un film pareil tourné aujourd’hui de la même manière…
C’est pour cela alors qu’il m’a moins plu 🙂 Est-ce une production Amicus ? J’ai pas réussi à trouver.
Non plus, il s’agit de British Lion Film Corporation, une société de production créée en 1919 qui a produit quelques perles (« Le Troisième homme » de Carol Reed) et qui a finie dans la série Z dans les années 1980 et 1990. La même année que « The Wicker Man », la firme a aussi produit le très étrange et psychanalytique « Ne vous retournez pas » de Nicolas Roeg. Les deux films, trop inclassables pour les producteurs, ont donc été diffusés en double-séance car personne n’y croyait. La suite, on la connait : les deux films sont devenus cultes.
Je me joins au concert de louanges. Un très grand film. Je rejoins aussi ton avis : mieux vaut zapper le remake… Déjà, quelle idée d’avoir choisi Nicolas Cage !