Carnival of Souls, de Herk Harvey (1962)

 

On notera au passage que l'actrice principale est passée chez le coiffeur selon le pays où le film est diffusé !
On notera au passage que l’actrice principale est passée chez le coiffeur selon le pays où le film est diffusé !

        Carnival of Souls, ou Le Carnaval des Âmes pour ceux qui ont séché trop de cours d’anglais, est sorti dans les drive-in en 1962 dans l’indifférence générale, faisant du seul et unique film de Herk Harvey un bide lui interdisant de refaire des films. Puis il a été peu à peu redécouvert, ré-évalué et est désormais disponible en DVD chez plusieurs éditeurs. Petit film précurseur, ouvrant la voie à de nombreux réalisateurs (de David Lynch à  Claude Chabrol en passant par George A. Romero), il mérite en effet largement cette réhabilitation.

Suite à un défi, un groupe de jeunes gens se lance dans une course automobile improvisée. Mais alors qu’ils roulent sur un pont, l’un des conducteurs perd le contrôle du véhicule et tombe à l’eau. Seule Mary en réchappe. De retour en ville, elle prépare son départ : organiste, elle a trouvé un emploi dans une église. En route vers son nouveau lieu de résidence, elle remarque un parc d’attraction qui semble abandonné. Petit à petit, elle semble victime de visions, et se croit entre autres poursuivie par un homme mystérieux qu’elle seule semble voir.

        Herk Harvey est connu à l’époque comme réalisateur et producteur de la société Centron Corporation, spécialisée dans les court-métrages et documentaires institutionnels, éducatifs et reléguant les actions du gouvernement. Son expérience de plus de trente ans dans le domaine et son professionnalisme en font un homme très apprécié parmi ses collègues, peut-être trop et cela finit par l’emmerder, toute cette routine et cette sympathie superficielle. Du coup, c’est peut-être là qu’il faut trouver l’origine de cette ambition de réaliser un film d’épouvante, pour montrer qu’il n’est pas forcément le gentil bonhomme qu’on croit. Et pour accroître ce sentiment, il joue lui-même le rôle de l’homme fantomatique inquiétant (en même temps, je ne connais pas beaucoup de fantômes qui ne soit pas inquiétants…).  L’idée de départ lui vient aussi de la découverte du parc d’attraction désaffecté d’Altair, près de Salt Lake City, et notamment une immense salle de réception vide. Carnival of Souls retranscrit parfaitement cette ambiance inquiétante, faisant de lieux de divertissement (le parc d’attraction) des endroits sans âmes, sans vie, mais dont on ressent pourtant une présence indicible, cachée dans les moindres recoins. A noter que de nombreux aspects font penser que le film s’inspire d’un épisode de The Twilight Zone nommé « The Hitch-Hiker », diffusé deux ans auparavant.

Un bus parisien, tôt le matin.
Un bus parisien, tôt le matin.

        Avec très peu de moyens et de temps (trois semaines et 30 000 dollars), Herk Harvey construit un magnifique film en noir et blanc très influencé par l’expressionnisme allemand, avec une mise en scène soignée qui nous place dans le point de vue de Mary, seule survivante de l’accident qui est vite confrontée à d’étranges apparitions inexplicables. Interprétée par Candace Hilligoss, actrice qui n’a pas refait parler d’elle ensuite à part pour The Curse of the Living Corpse, Mary est le centre du récit, le personnage par lequel le monde qui l’entoure passe peu à peu de la normalité à l’étrange puis vire dans l’horreur. Conséquence du peu de moyens ou bien véritable choix narratif, Carnival of Souls opte pour une horreur atmosphérique, via l’irruption de fantômes sans aucun effet, seulement un blanchissement de la peau des acteurs. La musique de Gene Moore, lente et grave, se charge d’apporter la touche finale. On pourrait se croire dans La Nuit des mort-vivants, avec des zombies s’accaparant un parc d’attraction, revenant hanter la vie quotidienne des vivants. Herk Harvey est absolument effrayant dans ses apparitions récurrentes, tentant d’attraper Mary en tendant les mains, une image iconique que l’on retrouve dans tout un pan du cinéma postérieur, jusqu’à satiété. Mais le plus troublant, c’est l’ambiance absurde qui parcours presque tout le film, comme les deux séquences où Mary devient « invisible » aux yeux des vivants et n’entend plus les sons de son environnement, ou bien les fantômes dansant dans la salle de réception à nous glacer le sang. Une atmosphère surréaliste, inexplicable et superbement filmée au plus près de sa protagoniste (voir l’utilisation de gros plans sur le visage, assez nombreux), qui renvoie là directement à l’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche) chère à Freud. Astucieusement placées dans le film, ces deux séquences laissent entrevoir également le twist final, que l’on imagine incompréhensible et blasphématoire pour le spectateur de 1962, mais dont beaucoup de réalisateurs ont gardé le souvenir, M. Night Shyamalan parmi d’autres.

Dr. Gonzo

5 commentaires

  1. Je garde un souvenir très nébuleux de ce film. Je prends note de ce rapprochement avec le “Hitch-hiker de la Twilight Zone sans trop comprendre pourquoi en fait (j’ai fait une analyse de cet épisode il y a peu et j’en garde un bon souvenir). Dans mon souvenir, l’ambiance surréaliste et le Noir et Blanc m’ont fait penser au “Vampyr” de Dreyer. Je crois que Harvey n’a pas donné suite à sa carrière de réalisateur, dommage. Une bonne chose en tous cas que ta chronique le sorte de sa trop discrète renommée.

  2. Très bon rapprochement effectivement que le film de Dreyer je n’y ait pas songé (il faudrait que je le revoit à l’occasion). Pour le parallèle avec « Hitch-Hiker » , c’est surtout la scène de l’auto-stopeur et plusieurs autres éléments ici et là. En tout cas c’est un film qui mérite la (re-) découverte, surtout avec le DVD récent.

  3. Il faudrait vraiment que je le revoie car j’ai complètement oublié cette scène d’autostop. Je dois l’avoir sur une vieille VHS poussiéreuse et granuleuse, il serait peut-être temps pour moi d’investir en effet.

  4. L’autostop, c’est dans « Hitch-Hiker », dans « Carnival of Souls » cela est repris par l’apparition fantomatique d’un homme qui semble être un auto-stoppeur, sur la vitre de la voiture (l’un des rares effets spéciaux du film).

    Ahhh la VHS, c’est mauvais de réveiller des souvenirs nostalgiques comme ça. Avec les couleurs qui bavent, les longues minutes pour rembobiner et enfin revoir la scène souhaitée, et obligé de s’avancer au plus près du tube cathodique qui paraît aujourd’hui pas plus grand qu’un iPad. Toute une époque.

  5. Un modèle du genre et une référence pour de nombreux réalisateurs, entre autres, Romero pour la nuit des morts vivants. Curieusement, ce classique de l’épouvante me paraît encore assez méconnu

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