Les Bonnes manières, de Juliana Rojas et Marco Dutra (2018)

Clara, une infirmière solitaire de la banlieue de São Paulo, est engagée par la riche et mystérieuse Ana comme la nounou de son enfant à naître. Alors que les deux femmes se rapprochent petit à petit, la future mère est prise de crises de somnambulisme…

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Voici donc un curieux long-métrage, aussi polymorphe que le loup-garou qu’il met en scène. À la fois film d’auteur et – un peu – film de genre, film chanté et film d’animation, très film social et un peu Walt Disney – même s’il n’est pas conseillé aux enfants –, film féministe, aussi, Les Bonnes manières est un objet hybride et fascinant.

De fait, comme dit ici, le loup-garou reste un monstre largement sous-exploité au cinéma, sans doute à cause des difficultés techniques que cela entraîne, mais aussi, peut-être, pour des raisons plus scénaristiques. Il y a en effet autour du mythe du lycanthrope tout un tas de questions métaphysiques, philosophiques et culturelles qui peuvent s’avérer difficiles à exploiter avec profit, surtout pour un jeune réalisateur. Réaliser un film de loup-garou avec des effets spéciaux de chez Nu Image peut être relativement simple. Mais réaliser un film de loup-garou intelligent, efficace et en même temps effrayant, c’est déjà autre chose.

Or, voilà que surgit avec Les Bonnes manières une version inédite et surprenante du mythe de l’homme-loup – même si, précisons-le d’emblée, il ne s’agit pas ici à proprement parler d’un film de loup-garou, comme peuvent l’être Le loup-garou de Londres (1981) ou Hurlements (1981), mais plutôt d’un film AVEC un loup-garou.

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Étonnant est sans doute ce qui qualifie le mieux ce conte moderne d’une durée de 2 heures, quand même. Le film de Juliana Rojas et Marco Dutra (et non pas Marc Dutroux) se divise d’ailleurs clairement en deux parties – la seconde, plus fantastique et davantage film de monstre, étant pour ma part la plus intéressante. L’ensemble est tout de même parfois un peu longuet, mais paradoxalement on ne s’ennuie jamais, étant donné que l’histoire se déplace de soubresaut en soubresaut jusqu’à la magnifique séquence finale.

Séquence durant laquelle beaucoup auront constaté une erreur technique assez flagrante (« Eh ! Oh ! Les gars ! Y a des verrous ! »… Mais c’est vrai que la colère rend aveugle…)

Preuve que le film surprend, je suis allé le voir dans un cinéma d’art et d’essai et, visiblement, certain(e)s spectateurs-ices tendance citoyens du monde-les Beaux Arts n’étaient pas tellement au courant de l’histoire, et venaient avant tout voir un film franco-brésilien politico-social (et, de fait, Les Bonnes manières en est un). Aussi ai-je savouré secrètement dans la pénombre de mon fauteuil leur réaction choquée et interloquée quand survinrent les premières scènes sanglantes, dont une particulièrement osée, tout du moins pour ce genre de spectateurs, j’imagine.

J’en profite pour souligner que dans Les Bonnes manières, la transmission de la lycanthropie ne passe pas, cette fois, par la morsure ou la malédiction d’une vieille gitane, mais de façon beaucoup plus originale, symbolique et, donc, sanglante.

Quoi qu’il en soit, à la fin du film certains spectateurs sont sortis de la salle visiblement perplexes, ne sachant pas trop ce qu’ils venaient de voir, et répétant entre deux rires incertains : « C’est bizarre… ». Ce à quoi je leur répondis : « Eh ! Eh !… Mais… Eh ! Oh ! » et les choses en restèrent là.

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La photo travaillée de Rui Poças et l’esthétique particulière, bleue et rouge, du film rendent la ville de São Paulo presque irréelle, quasiment onirique, en particulier quand la mégapole brésilienne est surplombée par la pleine lune. La bande-originale participe également à cette ambiance fantastique, à travers notamment une boîte à musique, élément central du film, ou encore de jolies berceuses et des génériques de début et de fin dans le style de La Belle aux bois dormants de Disney.

Quant au fameux lycanthrope – et c’est d’abord pour lui que je suis allé voir Les Bonnes manières –, les effets spéciaux de ce film franco-brésilien sont plutôt réussis, même si l’œuvre se veut plus métaphorique qu’effrayante dans son traitement de la fameuse bestiole.

Ainsi, le loup-garou en animatronique surprend par son réalisme et pour une autre raison que je ne dévoilerai pas, mais qui reste rare dans ce type de film. Par contre, je suis plus réservé quant à sa version numérique parfois kitchounette, qui demeure très correcte malgré tout, étant donné le budget du film. Reste que, depuis le désastreux Loup-garou de Paris (1997) en passant par Van Helsing (2004) et autres daubes lycanthropiennes indigestes, j’ai beaucoup de mal avec les loups-garous en CGI.

Je me suis d’ailleurs interrogé à ce sujet, seul en slip dans ma chambre par une nuit pluvieuse alors que mamie imitait les corbeaux depuis son cercueil en plâtre. En effet, en dépit de ses avancées éblouissantes ces dernières années, la technologie numérique ne semble pas encore prête à restituer ce type de créature fantastique à l’écran de façon réaliste et, par là même, crédible. Les poils, notamment, et les séquences de transformation sont toujours problématiques.

Pour avoir rencontré des loups-garous en vrai – ma concierge Rosita, notamment – ce n’est pas encore ça. Encore une dizaine d’années peut-être et le résultat sera concluant. Ou alors un film à très gros moyens. Ou alors, filmer un loup-garou en vrai, ce qui serait beaucoup plus efficace, même si beaucoup plus dangereux. D’où ma préférence, pour le moment, pour l’animatronique quand il s’agit de mettre en scène le monstre nocturne.

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D’ailleurs, aussi originale et novatrice que soit sa manière de traiter le mythe de l’homme-loup, on dépiste malgré tout dans Les Bonnes manières plusieurs références aux classiques du genre, que ce soit L’Année du loup-garou de Stephen King ou encore le film de John Landis (« Fuis !… »), en passant par les codes habituels du genre, quand d’autres sont délibérément mis de côté.

En résumé, Les Bonnes manières est un film mi-fantastique mi-auteur assez mystérieux, sinon déroutant, plastiquement beau, qui souffre de quelques longueurs malgré tout, mais qui transpose avec réussite et émotion un mythe millénaire dans un contexte social et sociétal éminemment contemporain. Un film à voir, assurément – avec une pince à épiler, c’est mieux.

Mr. Haydenncia

1 commentaire

  1. Lorsque j’ai regardé la couverture de ce film, j’ai tout de suite pensé qu’il s’agissait d’une œuvre d’animation. En lisant votre texte, j’ai su que je m’étais trompée. Je suis loin du compte, c’est un thriller fantastique et il est interdit au moins de 12 ans !

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