Tess, de Roman Polanski (1979)

       Tess, de Roman Polanski (1979)

        En 1969, Sharon Tate est assassinée par des disciples de Charles Manson. Peu avant cette mort tragique, elle avait fait part de son envie de voir le roman Tess d’Urberville (Thomas Hardy, 1891) adapté en film à son mari, Roman Polanski. Ce dernier étant accusé de viol sur mineure et menacé d’extradition, il part réaliser Tess en France alors que l’histoire se situe en Angleterre, durant la période victorienne.

Dans le Dorset rural de la période victorienne, le pasteur Tringham, un historien local, déclare à un fermier de la région, John Durbeyfield, qu’il a découvert lors de ses recherches que les Durbeyfields descendaient des D’Urberville, une famille de haut lignage qui datait de l’époque de Guillaume le Conquérant. Cette famille avait perdu par la suite ses terres et sa fortune.

Obnubilé par l’idée d’obtenir de l’argent grâce à cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille Tess rencontrer une famille D’Urberville, qui habite un joli manoir proche. Alec D’Urberville, charmé par la beauté de sa « délicieuse cousine », accepte de l’employer pour s’occuper des poules de sa mère. Alec tombe bientôt amoureux de Tess, tente de la séduire et finit par la violer. Découvrant qu’elle est enceinte, Tess retourne chez ses parents où elle donne naissance à un bébé qui meurt peu de temps après.

Plus tard, Tess trouve un emploi dans une ferme laitière où elle rencontre son véritable amour : un fils de pasteur nommé Angel Clare. Ce dernier, croyant que Tess est une paysanne complètement innocente, tombe également amoureux d’elle. La nuit de noces, Tess confie à Angel qu’elle a déjà eu un amant (et un bébé). Accablé, Angel quitte Tess et part pour le Brésil.

Pendant son absence, Tess rencontre de nouveau Alec D’Urberville mais se refuse à ses avances. Cependant, après la mort de son père, sa famille, dans la misère, se voit chassée de sa propre maison. Tess est alors obligée de renouer avec Alec. Elle devient sa maîtresse.

Quelques années plus tard, Angel Clare revient en Angleterre, malade et pris par le remords d’avoir abandonné sa femme. Il se met à sa recherche et la retrouve dans une maison au bord de la mer où elle a emménagé avec Alec. Après son départ, elle poignarde Alec et va retrouver Angel à la gare où elle lui avoue son meurtre. Ils se réconcilient et consomment leur mariage dans une maison où ils se sont réfugiés. Obligés de fuir, ils se retrouvent à Stonehenge où Tess est finalement arrêtée par la police.

        Roman Polanski vient, à cette époque, de réaliser de grands films et est une valeur sûre à Hollywood (Rosemary’s Baby, Chinatown…). Tess se fait donc à partir d’une collaboration étroite entre l’Angleterre et la France, Claude Berri assure la production du film, en grand admirateur qu’il est de Polanski. Côté acteurs, c’est surtout Nastassja Kinski, la fille de Klaus Kinski, qui impressionne par sa faculté à incarner un personnage du XIXème siècle dans ses moindres détails. Polanski l’a envoyé dans le Dorset plusieurs semaines avant le début du tournage et cela se ressent : la manière de parler, de se tenir debout, de marcher… Tout cela est d’une reconstitution incroyable, sans parler de sa beauté innée (dont n’a pas été insensible Polanski, puisqu’on lui prête une relation avec l’actrice). Le reste du casting, dans les plus petits rôles, est impeccable, en retenant en particulier Leigh Lawson en usurpateur noble, prêt à tout pour « posséder » Tess. Peter Firth également, le Angel Clare qui porte bien son nom, fils de pasteur qui apprend après le mariage que Tess est « le rejeton tardif d’une aristocratie dégénérée » alors qu’il pensait qu’elle était « une enfant de la Nature », une paysanne pieuse. A noter aussi une apparition d’Arielle Dombasle, mais ça on s’en fiche un peu.

Tess, de Roman Polanski (1979)
Tess, de Roman Polanski (1979)
Les Glaneuses, Millet, 1871.
Les Glaneuses, Millet, 1857.

        Tess est un chef d’oeuvre dont la mélancolie et le désespoir sont dignes des grands romans classiques de la seconde moitié du XIXème siècle. Sur une durée de 2h45, et avec un budget record pour un film tourné en France de 11 millions de dollars, Polanski dresse un portrait désespéré des habitants du Dorset en pleine période victorienne. Cela vaut aussi bien pour les paysans, on s’en doute, mais aussi pour les nobles qui vivent une décadence de plus en plus prononcée et surtout pour Alec, sur le plan sentimental du moins. Le poids des préjugés et des normes sociales y est décrit avec un réalisme rarement atteint dans une oeuvre de fiction, notamment les questions de religion (au travers du suicide, de l’infanticide, du manquement volontaire de la messe…), de mariage et d’union familiale envisagée pour l’argent et uniquement pour l’argent, …

        C’est aussi tout le cadre de l’Angleterre victorienne qui est dépeint, des campagnes pauvres du Dorset avec ses fermes de pierre où le vent s’engouffre par la porte les soirs d’hiver, les champs de blés, les forêts sauvages et pleines de grâce divine selon la pensée de l’époque (que Polanski sublime par la lumière naturelle s’engouffrant par les cimes des arbres)… jusqu’aux bourgades plus peuplées et plus prospères le long de la Manche, avec ses maisons bourgeoises alignées, ses longues artères centrales… Sans oublier tout ce qui concerne la vie quotidienne, le mobilier, l’argenterie, les cheminées, la nourriture… Si l’on devait considérer qu’un film rende compte du XIXème siècle britannique aussi bien qu’un livre d’histoire, ce serait sans doute Tess. De plus le film se déroule exactement comme une monographie historique, partant de l’histoire tragique de Tess pour nous dévoiler tout un pan de la vie du Dorset des années 188O.  La réalisation de Polanski est ici à son sommet, la photographie pure et naturelle des campagnes fait penser aux tableaux de Turner (1775-1851) ou bien aux Glaneuses de Millet (1857).  On pense aussi à Barry Lyndon pour certains costumes et environnements. Le plus ironique dans tout cela, c’est que tout a été tourné en France (Normandie, Pas-de-Calais, Finistère…) alors que tout semble parfaitement raccord avec le Dorset évoqué. Dans sa tradition du jusqu’au-boutisme, Polanski a interdit les pesticides un an à l’avance sur les lieux naturels de tournage, pour retrouver une pureté propre au siècle précédent.

Tess, de Roman Polanski (1979)

        L’image finale résonne tragiquement avec la première scène dans laquelle on voyait Tess, encore innocente, danser avec ses soeurs dans un champ. A la fin, elle est arrêtée par la police à Stonehenge, les pierres mystérieuses semblent représenter cette danse du début mais figée cette fois. Peut-être est-ce le signe que malgré les déplacements géographiques de Tess à la recherche d’une ascension sociale et donc pécuniaire  celle-ci n’a, au final, pas bougé de sa place de fille de paysan. C’est en tout cas ce que nous montre à voir cette fresque grandiose, teintée d’une ambiance inégalée (la musique y est aussi pour beaucoup), sur le libre-arbitre, les moeurs de la société britannique du XIXème siècle, et le parcours déprimée d’une jeune fille perdue parmi la violence et la cupidité des hommes.

                                                                                                                                      Dr. Gonzo

Titre original : Tess
Réalisation : Roman Polanski
Nationalité : France, Royaume-Uni
Chef opérateur : Geoffrey Unsworth, Ghislain Cloquet
Avec : Nastassja Kinski, Peter Firth, Leigh Lawson...
Production : Renn Productions, Société Française de Production
Distributeur : AMLF, Colombia Pictures
Durée : 190mn
Date de sortie en France : 31 octobre 1971

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